Deux heures à tuer

Publié le par Marie-Laetitia

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Deux heures à tuer, deux heures offertes. Je me suis encore trompée dans l’horaire de mon rendez-vous avec mon psy, et me voici contrainte de mettre à profit du temps qui ne m’était pas dévolu. Je fais un tour chez le libraire voisin et m’installe à une terrasse de café.
Il est 9 h 30.
Des habitués sirotent leur consommation à quelques tables de moi. Ils sont bruyants, plaisantent avec les serveurs, s'installent, occupent l'espace sonore. Je les envie encore, je les enviais déjà lorsque j’étais étudiante, j’aurais tant aimé être de ceux et celles qu’on salue à leur entrée d’un geste de la main et d’un grand sourire, à qui l’on demande par-dessus le brouhaha « comme d’habitude ? » et qui acquiescent d’un signe de tête autoritaire avant d’aller s’asseoir à leur table. Mais je n’étais pas de ceux-là. Je ne possédais pas cette sorte de charisme qui rend immédiatement sympathique, cette faconde qui délie les langues et attire les rires et les anecdotes. Je me croyais ou me voulais sauvage, et sans doute l’étais-je ; persuadée d’être pour ainsi dire mariée je me désintéressais de toutes les tentatives de communication de la part de la gent masculine et décourageais les importuns par l’un de ces regards noirs que m’a légués ma mère et dont j’ai, parfois, fait moi aussi les frais, adolescente. Des yeux marron foncé virant au noir sous la colère, oh je connaissais bien l’effet qu’ils savaient produire. Je me rencognais derrière un livre et la fumée d’une cigarette, j’étais la ténébreuse, la mystérieuse, ou j’y jouais.
Las, je ne suis plus aujourd’hui que l’anonyme ! De quelle utilité me serait le serveur si je devais impérativement fournir un alibi ? Aucune je le crains. Je suis devenue transparente.
Ma foi, cela n’est pas sans avantages, le serveur qui s’affaire autour de moi à retourner les tables et installer les parasols ne s’occupe que de ne pas me bousculer.
A quelques mètres de moi, le carrousel 1900 se défroisse et se dégrippe, les enfants attendent déjà. Les mères sont sagement alignées en rond.
Je m’y revois, moi, tenant la petite main de mon aînée, c’était doux, on patientait, on espérait que le monsieur du « manèz » ne tanguerait pas trop ce matin et ouvrirait à l’heure. Est-il encore là ? Oui je l’aperçois. Il semble sobre, le pas est sûr, le teint bronzé n’est pas coloré de ce rose caractéristique des alcooliques qu’il arborait alors dès l’aube. Peut-être est-il guéri, si l’on peut guérir de ça.
Je souris, les tout petits s’agrippent aux rampes des chevaux de bois, au volant de la voiture de pompier ou du biplan, ils trépignent.
Voilà, la sonnerie retentit et la vaste machinerie s’ébranle.
Tout près, une jeune adolescente papote en regardant – est-ce de la nostalgie ? – le manège en mouvement : « ouais …. T’es où ? …. Ouais au manège, ben je t’attends quoi ! … ok mais dépêche-toi ». Ca ne doit pas faire si longtemps qu’elle n’y monte plus.
Une maman de trois croise mon regard, je lui souris, je ne la connais pas mais je me retrouve dans son regard fatigué, dans ce bonheur parfois un peu las, elle promène derrière elle deux petites filles proprettes et bien coiffées et son cadet qui dévore un pied nu dans sa poussette est d’une beauté qui fait se retourner les gens. Elle est fière.
Un enfant pleure : le tour de manège est fini, il faut descendre, papa ou maman a d’autres choses à faire et le tour octroyé était déjà une concession, mais que comprennent les tout petites filles aux concessions ? « Acooooooor mamaaaaaaan ». Mais la mère ne cède pas, attrape fermement la petite main de sa presque encore bébé et tire un peu, l’enfant cède, voilà, c’est ça aussi une concession.
Derrière moi la circulation se fait moins dense.
Les habitués ont rejoint leurs lieux de travail.
Le serveur est rentré.
Je suis seule à présent. Deux heures. On aurait pu me les voler, je me les suis offertes.  

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P
<br /> Ah Ah Ah ! se planter dans son RV avec son psy !!!<br /> <br /> <br />
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H
<br /> <br /> Eh ouais et c'est pas la première fois en plus ! ^^<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> Je découvre votre site et je me régale. Vos petites chroniques sur vos filles (quelles sont belles en plus!) et ka vie quotidienne sont délicieuses. Encore, encore !<br /> <br /> <br />
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H
<br /> <br /> Merci beaucoup et bienvenue Myriam<br /> <br /> <br /> <br />
P
<br /> Qu'est-ce que j'aime tes mots ma cigale ! Ne lâche rien, ta plume va te revenir encore plus belle !<br /> <br /> <br />
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H
<br /> <br /> Merci ma douce, j'y crois je m'entraîne tu vois !<br /> <br /> <br /> <br />